Blog, quelques idées personnel, quelques réflexions piochées dans des livres
Je cite ( René Huyghe, formes et forces, de l'atome à Rembrandt, édition Flammarion, page 420) Voilà un passage qui me revient en mémoire lors d'un appel à candidature pour un projet de publication artistique. Le sujet de l'appel à projet manque terriblement de cohésion et de sens, par contre les mots employé dans ce dossier me plonge dans un marasme profond. "Partenariat, collaboration, rencontre, acteur, échange, relation, médiation, expression, partage, lien, création, culture".De plus en plus souvent les appels à candidatures se substituent à l'évocation même des contraintes du langage artistique. Voici donc le paragraphe de cette auteur que j'affectionne particulièrement."Tout est désormais organisé pour empêcher les êtres de reprendre le fil naturel de la durée intérieure : la distraction constante, organisée par les médias, les images chocs, le rythme de leur débit auditif et visuel, envahissent le cours libre de la conscience et finissent par se substituer à lui, ou du moins par engorger et étouffer ce qu'il en reste.Matérialisation et mécanisation des buts et des actes, des idées et du langage conduisent la plus redoutable offensive que l'homme ait jamais subie pour le ramener, sous un apparent dynamisme, aux lois du fixe et de l'inerte ; elles suppriment en lui le désir et même la conscience de la qualité, l'ambition de contribuer à la marche ascendante entreprise par la vie et dont il était l'élément le plus avancé et le plus créateur."
L'art, loin de maintenir son rôle qui serait de préserver et de ranimer la vocation de la qualité désintéressée, se borne trop souvent à mimer la création par son faux-semblant dérisoire qui est la nouveauté.
Le rêve livre une image, comme la nature une plante, qu'elle a fait pousser; c'est à nous d'en tirer des déductions.
L'artiste ne devrait pas être moral - dogmatique, politique - car ils ou elles ne peuvent que tomber dans les pièges de la représentation, et ses contradictions sont nombreuses : ce qui est à éviter, ce qui est à évoquer, ce qui est répété ou interdit ou bien désiré ne le met que dans un congloméra de cynisme. L’écrin de l'art c'est la retenue et la promesse poétique.
Les idées sont autant de concepts, que le sont les animaux, les végétaux ou les minéraux. Je veux dire par ceci que l'idée est tout aussi vivante qu'un corps organique dans la psyché humaine.
Une sentence de Jean Dubuffet tirée du "livre Asphyxiante culture" au édition de minuit, 1986. "La fonction opérante de l'esprit est la mobilité, de propulsion, c'est-à-dire d'incessant abandon d'un lieu pour sauter à un autre. La culture, à l'inverse, ne cesse de crier fixation ; c'est en quoi son action; à l'opposé d'aider à l'agilité de la pensée, enchaîne ses pieds, l'immobilise. De la culture et la pensée les mouvements sont inverses : de flux la pensée, et la culture de reflux."
Hannah Arendt, la crise de la culture : La nature de l’œuvre d'art est atteinte quand ses objets eux-mêmes sont modifiés, cela ne veut pas dire que la culture se répande dans les masses, mais que la culture se trouve détruite pour engendrer le loisir. Le résultat n'est pas une désintégration mais une pourriture /…/ Le résultat, est non pas bien sûr une culture de masse qui, à proprement parler, n'existe pas, mais un loisir de masse qui se nourrit des objets culturel du monde. Croire qu'une telle société deviendra plus " cultivée " avec le temps et le travail de l'éducation est, je crois une erreur fatale.
" Le public confond facilement celui qui pêche en eau trouble avec celui qui puise dans les profondeurs. " Friedrich Nietzsche - le voyageur et son ombre.

Dimensions (H) 4,8 cm ; 6 cm de diamètre Commentaire Œuvre composée de 90 boîtes
A chaque artiste "ça" merde… ou le dieu mourant.
Vidéo >>> http://youtu.be/JwcTeCy-TkE
Bien entendu la référence concerne
Acte amusé ou bien référence analytique au contexte social (marché de l'art, société de consommation) ou encore référence au processus créateur ?
L'ensevelissement de la matière fécale de l'artiste dans une boite, qui est ensuite proposée au prix du gramme d'or équivalent au poids de la merde introduite dans cette boite est une belle critique subversive du marché économique de l'art tout autant que de l'artiste, Manzoni n’en a vendu que très peu de son vivant et, d'ailleurs, très peu d'œuvres en général.
Ce qui est très évocateur dans cet acte créateur c'est l'équivalent valeur merde/or.
Car si nous dépassons la critique de surface marché de l'art/artiste, nous apercevons un autre mécanisme plus profond, qui est anal/oral, autodestructeur/auto-créateur.
L'artiste auto-dissémine sa substance dans les airs (sur le marché de l'art) une fois enfermé (ensevelit) dans une boite ; ce stade de l'enfance ou les premières projections du moi sont considérées par l'enfant comme des cadeaux précieux fait à la mère, et qui peuvent devenir suivant le dénouement : symptôme, fantasme primaire, obsession, le sacrifice de soi se transforme en dieu disséminé, tel Dionysos, dieu auto-créateur et dissonant des dithyrambes mais aussi ce sacrifice de l'amour, de son propre bien (excréments) se transforme en matière précieuse "d'ordre économique".
Processus de création ou symptôme social ?
Une fois ces petites boîtes disponible à la vente que suscitent-elles ?
certainement des rires et moqueries mais chose non étrange à la mort de l'artiste un engouement d'appropriation. Puis une longue chaine de questionnements, "Merde ou pas Merde" et puis Merde quand certaines de ces boites laissèrent échapper des odeurs nauséabondes après avoir subit la corrosion des années ou l'éventrement fortuit.
Donc nous arrivons au dégoût, ce qui nous ramène encore à l'enfance : les projections insouciantes du premier stade anal sont en effet retenues et les excréments déposés avec discrétions.
Comme l'enfant fait encore, inconsciemment, l'équivalence entre les produits du corps maternel et lui-même, il est désormais essentiel pour lui d'être bien rassuré , de ne pas se croire dévalué, exilé et abandonné comme un excrément malpropre ! L'enfant, qui se perçoit alors comme un excrément sans valeur, mort, accepte le rôle d'un hors-la-loi criminel, exilé de l'utérus de la société !
L'artiste n'est-il pas marginalisé tant qu'il n'a pas vendu et disséminé ses œuvres de part le monde ??
Tentative pour Manzoni de réitéré un fantasme en lui donnant une direction, d'accorder une pulsion primaire "ça" avec le "Moi", d'unifier la création avec sa base sociale ?
Rétention et expulsion, mais aussi projection sont les thèmes du dieu mourant (expulsion = dissémination et projection = ensevelissement).
Deux pulsions, Éros et Thanatos qui sont les mouvements imbriqués d'une tentative, d'un dieu auto-créateur sans terre pour accueillir sa sépulture.
E.Kris pensait en effet que le travail créateur implique une régression "controlée" des facultés de surface vers un processus primaire.
Jamais le corps humain n'est plus proche de l'excrément qu'après la mort, et en particulier une fois qu'a commencé la décomposition.
Le "jeu" de l'artiste est certainement "crépusculaire" - formes en périphéries d'une pensée fugitive conscient/inconscient - et ainsi englobe toutes les directions, de la démystification au combat farouche entre les pulsions et la tentation d'exister.
Pionnier de l'Arte Povera Manzoni meurt 2 ans après et la Merda d'artista lui survivra contrairement à ses idées politiques mais en toute cohérence avec ses fantasmes de rédemption.
(support : Anton Ehrenzweig, l'ordre caché de l'art, éd tel gallimard)
je cite celui qui cite " La vie des nations, dit Ruskin, se conserve dans trois livres : leur histoire, leur littérature, leur art. Mais de ces trois livres, le dernier seul présente un témoignage fidèle : il est le reflet qui ne ment pas, l'indice de la santé ou du malaise d'un peuple, la mesure de son idéal et de sa moralité. " (Louis Gillet, histoire artistique des ordres mendiants).